Nulle part ailleurs en forêt on n’entend autant d'abeilles et de bourdons, on ne voit une telle profusion d’orchidées et de campanules, on n’aperçoit aussi souvent un lézard se faufiler dans l’herbe que sur le bord ensoleillé d’une route forestière.
Seule la faucheuse met abruptement fin à toute cette joyeuse activité, et les sauterelles écrasées, les coléoptères morts et les fleurs étêtées sont trop souvent les trites témoins d’un entretien mal planifié.
Les bordures de routes forestières, un milieu naturel d’une grande richesse
La zone de transition entre une route gravillonnée et un peuplement forestier renferme la plus grande diversité spécifique de tout l’écosystème forestier, hormis les lisières. Les bordures de routes forestières sont des stations maigres, calcaires et lumineuses. Elles offrent ainsi un habitat de substitution à de nombreuses espèces qui ont disparu des régions agricoles. Ainsi, dans le Mitteland bernois, 80% des stations à orchidées qui subsistent se concentrent le long des routes forestières.
La banquette de route est une station pionnière, comparable à un terril ou une carrière de graviers. Dans la zone du talus, l’horizon de surface riche en nutriments a été déblayé lors de la construction de la route. Les routes étant par ailleurs des trouées de lumière dans la forêt, les espèces des prairies maigres désormais rares y trouvent un nouveau milieu naturel. Les gravillons projetés par les pneus enrichissent le sol en calcaire. Là où les sols sont acides, comme c’est le cas un peu partout dans le Mitteland bernois, les bordures représentent donc des îlots basiques dans un océan acide. Les plantes calcicoles, auxquelles appartiennent notamment la plupart des orchidées, ne poussent que sur ce type de sols.
Le lézard vivipare
Chez le lézard vivipare, les petits naissent vivants, contrairement à ceux des autres reptiles qui pondent des œufs. Il nécessite donc moins de chaleur, qui est indispensable aux autres espèces pour assurer le développement de la ponte. Ceci explique qu'on le rencontre jusqu’à des altitudes élevées dans l’espace alpin. En forêt, il préfère les clairières et les bordures de routes ensoleillées. Mais s’il ne parvient pas à s’enfuir à temps, il n’a aucune chance de survie lors des interventions de fauche.
L'aurore
Ce joli papillon diurne peut être observé dès le début du printemps, surtout en lisière de forêt, dans les clairières et le long des routes forestières. Adultes et chenilles sont tributaires toute l’année de plantes nourricières, par exemple l’alliaire officinale. Un broyage précoce en bordure de route forestière détruit les chenilles ainsi que la nourriture des adultes. Les chrysalides ne peuvent survivre à l’hiver que s’il subsiste de l’herbe de la saison précédente.
La campanule à feuilles d’ortie
De juillet à août, les clochettes bleu-violet de cette plante magnifique pouvant atteindre un mètre de haut égaient les bordures des routes forestières bien éclairées . Alors que les abeilles peuvent mourir de faim dans les paysages ouverts trop nettoyés, les bordures fleuries des routes apportent une offre pérenne lorsqu’elles ne sont fauchées qu’à l’automne. Ce fauchage tardif permet par ailleurs aux fleurs pluriannuelles de constituer des réserves pour l’année suivante.
Photos: Pro Natura Berne
L’orchis de Fuchs
Au mois de juin, les fleurs d’un lilas tirant sur le violet de cette orchidée brillent dans la pénombre. On ne la trouve pratiquement plus dans les régions agricoles du Plateau. Les talus humides des routes forestières sont aujourd’hui leur principal milieu naturel. Leurs graines sont répandues par le vent dès que les capsules s’ouvrent en septembre. Ceci n’est possible que si la fauche s’effectue à la fin de l’automne
Tenir compte de la biodiversité dans le calendrier d’entretien
Fig. 6 - L’entretien des bordures s’effectue trop souvent sans tenir compte des riches communautés d’espèces, avec fauchage ou broyage des peuplements en plein milieu de la floraison.
Photo: E. Grütter
Lorsque les bordures de route sont fauchées dès le mois de mai ou juin, au plus fort de la floraison, ceci signifie la fin abrupte de toute la flore estivale. Les plantes ne peuvent pas produire leurs graines, et les espèces pluriannuelles ne peuvent pas stocker de nutriments dans leurs organes. De nombreux animaux perdent leurs ressources alimentaires, lorsque ce n’est tout bonnement pas leur vie…
En respectant les règles suivantes, on peut minimiser la perte des espèces et conserver la diversité spécifique:
- Il vaut mieux faucher (ou broyer) à partir d’octobre, et laisser au moins 10 % de vieille herbe.
- Si l'entretien doit impérativement être effectué en été, faucher les talus et autres accotements riches et variés au lieu de broyer la végétation (mulching). La fauche ménage davantage les petits animaux.
- Ne pas éliminer les buissons de valeur.
- Laisser les tas de pierres et de branches ou les souches, et si possible, mettre en place de nouvelles structures.
- Régler la hauteur de coupe à 10 cm, ce qui épargne la faune.
- Lutter contre les néophytes envahissantes avant la production des graines.
Un entretien respectueux est moins cher
L’entretien des bordures à l’automne permet souvent d’économiser une fauche. En de nombreux endroits, il est aussi possible de ne faucher qu’une année sur deux, sans pour autant prétériter la visibilité et la sécurité pour le trafic. Il est préférable de faucher en alternance.
La devise devrait être : ne faire que ce qui est absolument nécessaire ; et c’est beaucoup moins que ce que l’on croit. De fait, il est possible de faire des économies en termes d’entretien des accotements routiers tout en favorisant la biodiversité.
Un dernier point important pour les propriétaires de forêts: les bords de routes forestières fleuris représentent des sites d’affouragement prisés par le gibier, ce qui limite l’abroutissement du recrû forestier par le chevreuil.