La conservation et la promotion de l’if (Taxus baccata L.) en Suisse passent par l’étude de différents éléments. Aux côtés des faits déjà connus, comme la régénération difficile de cette essence, d’autres facteurs sont à prendre en considération. Dans cet article, nous étudierons l’influence de la taille et de la répartition des populations sur la diversité génétique de l’if. Cet arbre étant une espèce dioïque, le rapport entre le nombre d’individus femelles et d’individus mâles est également un facteur non négligeable.

Fait étonnant: un déséquilibre s’observe dans le rapport entre le nombre d’individus mâles et d’individus femelles (sex-ratio) dans les 14 populations d’ifs étudiées (tableau 1 et figure 3). Les ifs femelles sont plus nombreux. Cependant, la comparaison du nombre d’ifs d’une population avec le sex-ratio nous montre que la proportion d’ifs femelles atteint 62 % en moyenne dans les populations de petite taille (moins de 150 individus) alors qu’elle n’est que de 53 % dans les populations de grande taille (plus de 200 individus). Le résultat partiel de cette étude [4] est certes inattendu, mais il n’en est pas moins significatif au point de vue statistique.

En bref

En 1997, la Direction fédérale des forêts a chargé l’EPFZ de réaliser le projet "Favoriser les essences rares au Nord des Alpes suisses (SEBA)". Dans une première phase, l’équipe de spécialistes s’est employée à relever les aires de répartition de dix essences plus ou moins rares, à évaluer les risques menaçant ces essences et à développer des stratégies de promotion [1]. En outre, le WSL a élaboré les bases scientifiques relatives à diverses essences et a étudié la manière de valoriser les résultats de ces recherches [2]. Cette étude s’inscrit dans le projet de l’OFEV "Conservation et utilisation des ressources génétiques en forêt".

A partir d’un certain âge, l’if fait preuve d’une grande tolérance à l’ombrage. Il est malgré tout peu compétitif. Il est présent dans des types de stations très divers. En Suisse, l’if se rencontre surtout au pied sud du Jura, à l’est du Plateau et dans les Préalpes. Ses populations y sont de toutes tailles. On trouve aussi des peuplements d’ifs plus isolés en Valais, au Tessin et dans les Grisons.

Grâce à sa répartition géographique et à sa fréquence, l’if ne semble pas être menacé de disparition. Cependant, son manque de régénération depuis quelques décennies lui est particulièrement préjudiciable. La forte densité des populations de gibier ongulé pourrait en être la cause. Si l’on ne parvient pas à maîtriser la situation, l’if risque d’être mis en danger à long terme dans notre pays. Des facteurs d’ordre génétique, qui dépendent de la taille et de la répartition des populations, sont aussi susceptibles de menacer la pérennité de l’if. Afin d’obtenir des fondements de mesures conservatoires, nous avons étudié la structure génétique de l’if dans quatre régions de Suisse:

  • pied sud du Jura
  • haîne de l’Albis
  • Hörnli/lac de Constance
  • Haut-Valais (W)

Tableau 1 - Localité, taille des populations et sex-ratio des 15 populations d’ifs étudiées en Suisse et des peuplements d’ifs évoqués dans l’encadré 2 (NSK). La population Waldjini Talwald ne comptant que quatre individus adéquats, elle n’a pas été soumise à une analyse de génétique moléculaire ni à la détermination du sex-ratio. G = population de grande taille (plus de 200 individus) et P = population de petite taille (moins de 150 individus)

Dérive génétique dans les petites populations

Les phénomènes naturels, comme les incendies, les avalanches ou les glissements de terrain, modifient de manière aléatoire l’abondance des types génétiques d’une population. Certains types risquent même de disparaître suite à de tels événements. Ce processus, appelé dérive génétique, diminue la diversité du peuplement, notamment dans les populations de petite taille; il augmente aussi la probabilité que les quelques individus restants s’apparient avec des arbres de parenté proche, d’où le risque de croisements consanguins.

Nous avons donc recensé la diversité génétique des ifs dans 14 peuplements à l’aide d’une méthode moderne de génétique moléculaireet tenté de déceler d’éventuelles dérives génétiques. Nous en avons effectivement décelé quelques signes dans les populations de petite taille tandis que les grandes populations semblent en être épargnées, comme nous le présumions.

En outre, la diversité génétique est plus faible dans les petites populations que dans les grandes. Cet appauvrissement mérite d’être suivi de près. Il est d’autant plus étonnant que l’if est encore assez largement répandu en Suisse et que ses habitats sont généralement de taille très réduite. Il serait intéressant de connaître l’importance de cette faiblesse dans d’autres pays européens où les populations d’ifs sont souvent très petites et largement dispersées. La dérive génétique pourrait aussi expliquer le déséquilibre du sex-ratio dans les petites populations d’ifs, ainsi que nous l’avons mentionné ci-dessus. Néanmoins, il sera nécessaire d’approfondir les recherches si l’on veut savoir pourquoi le nombre d’ifs femelles est toujours supérieur à celui d’ifs mâles.

Les populations d’ifs sont-elles reliées?

Des relevés du projet "Favoriser les essences rares au Nord des Alpes suisses" [1], nous déduisons que les populations présentes dans les Préalpes, à l’est du Plateau et au pied sud du Jura sont davantage reliées que celles du Valais, où leurs habitats sont séparés. Cette hypothèse est vérifiable à l’aide de méthodes génétiques. Les analyses prouvent effectivement que les ifs des trois régions du nord de la Suisse ne présentent que de faibles différences génétiques.L’échange génétique a donc été suffisant dans ces régions durant les dernières générations d’arbres. Toutefois, l’influence de la taille des populations seremarque à nouveau: les petites populations semblent être moins reliées que les grandes.

Mais comment se comporte une petite population, géographiquement très isolée, comme celle du Blindtal, en Valais? La diversité génétique de cette population est vraiment très différente de celle des populations du nord de la Suisse ou d’une autre grande population valaisanne. Il ressort de cette étude que l’échange génétique est quasi inexistant entre les deux populations d’ifs étudiées en Valais. La petite population du Blindtal est donc isolée. Par contre, la grande population valaisanne n’est génétiquement pas très différente des populations du nord de la Suisse.

Actions destinées à conserver l’if

En quoi ces résultats contribuent-ils à la conservation de l’if? Face à la dérive génétique possible et à la faible diversité génétique des petites populations d’ifs, c’est surtout dans ces dernières que des actions devraient être engagées. Si les vieux ifs sont mis en lumière de manière ciblée et progressive (figure 4), leur croissance et leur reproductibilité s’améliorent. Une production accrue de pollen favorise l’échange génétique entre les populations. Dès lors, les petits peuplements d’ifs peuvent aussi contribuer à établir des liens entre les populations (passerelle).

Parallèlement à une fructification accrue, une promotion ciblée de l’if dans les petites populations peut favoriser l’augmentation des effectifs à long terme et améliorer ainsi l’équilibre du sex-ratio. Les conditions d’appariement en seront favorisées, tout comme la conservation de la diversité génétique locale. Si l’on veut assurer une régénération suffisante de l’if, la seule méthode prometteuse pour l’instant consiste à protéger individuellement cette plante.

Toutes ces pratiques établies permettront non seulement d’assurer la régénération de l’if dans nos forêts, comme le montre cette étude, mais aussi de promouvoir ou de maintenir la diversité génétique des populations de toutes tailles ainsi que les échanges entre elles.

Bibliographie

  • [1] Barengo, N.; Rudow, A.; Schwab, P., 2001: Favoriser les essences rares au Nord des Alpes suisses. EPFZ/OFEFP, Zurich/Berne.
  • [2] Bonfils, P.; Bolliger, M.: Les forêts d’un intérêt génétique particulier. OFEFP, Berne.
  • [3] Brändli, U.-B., 1998: Die häufigsten Waldbäume der Schweiz: Ergebnisse aus dem Landesforstinventar 1983-85: Verbreitung, Standort und Häufigkeit von 30 Baumarten. Ber. Eidg. Forschungsanst. Wald, Schnee und Landsch.
  • [4] Hilfiker, K., 2002: Untersuchungen zur genetischen Struktur der Eibe in der Schweiz. Travail de diplôme EPFZ/ WSL, Zurich/ Birmensdorf.