Dans le courant du XIXème siècle, la production de bois a gagné en importance, pendant que les autres formes traditionnelles d’utilisation déclinaient, voire disparaissaient localement. Autour de 1800, le pâturage en forêt, l’agroforesterie, la collecte de fourrage, de litière ou d’autres produits destinés à l’usage domestique ou artisanal – lessive à la cendre de bois, baies, le tan pour la préparation des cuirs, la sève et les plantes sauvages – étaient dans bien des régions aussi précieux que l’utilisation de la forêt pour son bois. Au XXème siècle, la société des loisirs a redécouvert la forêt en tant que lieu de détente et d’activités sportives. Dans le même temps, les milieux de la protection de la nature formulaient de plus en plus clairement leur conception de la valeur écologique de la forêt. Les anciennes formes d’utilisation de la forêt tombèrent dans l’oubli malgré leur grand intérêt d’un point de vue historique, culturel et écologique.

Documentaires et livre

Dans le cadre d'un projet financé par la Fondation Bristol, l'Institut fédéral de recherche WSL a étudié l'évolution des formes traditionnelles d'exploitation forestière en Suisse aux XIXe et XXe siècles. Il a également interrogé des témoins de l'époque sur leurs connaissances et leurs expériences en la matière. L'étude révèle une grande diversité de formes d'exploitation, mais aussi de grandes différences régionales. Les interviews de témoins enregistrés dans le cadre du projet, ainsi que des images et des films historiques, sont mises en lumière dans six documentaires de Rahel Grunder : 1. le pâturage en forêt, 2. l'utilisation de feuilles et d'aiguilles, 3. la cueillette de baies, de champignons et de plantes médicinales, 4. le lavage avec de la lessive de cendre, 5. les possibilités d'utilisation de résine, 6. l'utilisation de branches, de troncs et de rameaux. Les différentes contributions (en dialecte avec sous-titres en allemand) peuvent être sélectionnées en haut à droite de la vidéo [☰].

 

Les six documentaires en tant que collection sont également disponibles sur Vimeo.  Le livre est épuisé, mais il est disponible en ligne dans son intégralité.

Utilisations traditionnelles

Le bois en tant que matière première, matériau de construction et de chauffage a joué un rôle essentiel bien au-delà du début du XXème siècle (fig. 1). La forêt n’était toutefois pas seulement vouée à l’abattage d’arbres. Il était souvent aussi un pâturage, un lieu qui fournissait aux hommes et aux bêtes de quoi se nourrir, de la litière pour le bétail et des matières premières pour l’artisanat et l’économie domestique.

Fourrage

  • Pâturage en forêt: Le sylvopastoralisme était la règle dans toute la Suisse jusque vers la fin du XVIIIème siècle. En bien des endroits, la valeur économique des forêts résidait moins dans la production de bois que dans le pâturage, en particulier pour l’engraissage des porcs, qui fut longtemps presque exclusivement cantonné en forêt. Le pacage des chèvres et des moutons se maintint encore davantage. Sur le Plateau, les pauvres et les sans-terre menèrent leur petit bétail en forêt jusqu’à la fin du XIXème siècle. Dans les Alpes et dans le Jura, la présence de chèvres et de moutons en forêt fut même répandue jusqu’au milieu du XXème siècle (fig. 2).
  • Foin et fourrage: Outre le pacage, la forêt nourrissait le bétail sous deux autres formes: d’une part, la végétation herbacée était fauchée dans les clairières en guise de foin. D’autre part, l’émondage traditionnel permettait de récolter du feuillage qui était ensuite transporté dans les étables (fig. 3).

Litière

  • Feuilles et aiguilles: Celles-ci furent largement utilisées en guise de litière pour le bétail (fig. 4). Dans son manuel "L’instituteur en forêt", Kasthofer posait en 1828 au nom de la population alpine la question rhétorique suivante: "... où voulez-vous que nous trouvions de la paille pour épandre dans nos étables et pour fumer nos prairies et nos pâturages, si nous ne pouvons pas ratisser les feuilles mortes en forêt? Nous autres gens de la montagne, ici où les hivers sont si longs, ne pouvons guère cultiver des céréales. Nous n’avons donc pas de paille pour nos bêtes et à peine assez pour notre propre lit." L’utilisation de la litière était si répandue que Kasthofer ne connaissait pas une seule hêtraie dans l’Oberland bernois "qui n’ait été débarrassée d’un bout à l’autre de toutes ses feuilles mortes." Cette pratique se poursuivit jusqu’au XXème siècle, et ce n’est que l’arrivée du chemin de fer qui permit de généraliser l’utilisation et le transport de paille, et donc de se passer de la litière forestière.
  • Litière: Les feuilles mortes n’étaient pas seulement destinées au bétail: en particulier les plus démunis dormaient encore bien après le début du XXème siècle sur des matelas rembourrés de feuilles et d’aiguilles (fig. 5).

Sustances tirées du bois

  • Cendres: Le linge était lavé avec une lessive fabriquée à partir des cendres de bois de cheminée (fig. 6)
  • Sève: La consistance collante et épaisse de la sève, son inflammabilité et son arôme intensif en font depuis longtemps un produit naturel très apprécié (fig. 7). Autrefois principalement récoltée sur les pins, les mélèzes, les épicéas et les arolles, elle était indispensable à certains corps de métier: les tonneliers l’utilisaient pour calfater les fûts, les tanneurs pour le traitement des cuirs, ou les cordonniers pour enduire les fils de lin. Le soir, des bâtons enduits de résine éclairaient les foyers. La résine était aussi utilisée pour allumer le feu, jointer des planches, traiter les blessures d’arbres fruitiers, ou, mélangée à du suif, comme cirage. En raison de ses propriétés antiseptiques, elle faisait également partie de l’arsenal thérapeutique populaire pour produire d’innombrables pommades, onguents et cataplasmes. Les mains gercées et les blessures au pied du bétail étaient soignées avec de l’huile de résine, que l’on extrayait par cuisson des racines de pins sylvestres. Lorsqu’un paysan tuait le cochon, on diluait de la résine dans l’eau de lessivage pour faciliter l’arrachage des soies.
  • Tan: Les écorces de chêne et d’épicéa étaient utilisé pour tanner le cuir (fig. 8).

Combustible

  • Cônes de sapin: Les cônes étaient ramassés pour allumer le feu.

Matière première

  • Bardeaux: Dans de nombreuses régions, les toits étaient traditionnellement couverts de bardeaux en bois.
  • Clôtures: La construction de clôtures souvent très artistement composées était autrefois grosse consommatrice de bois (fig. 9).
  • Artisanat: De nombreux outils et objets de la vie quotidienne – par exemple des corbeilles – étaient autrefois en bois.

Sauf mention contraire, les photos présentées ici ont été aimablement mises à notre disposition par les archives de la Société Suisse des Traditions Populaires (SSTP) à Bâle.

Traduction: Michèle Kaennel Dobbertin (WSL)