La conservation des oiseaux de la famille des Tétraonidés – en particulier le grand Tétras (Tetrao urogallus) et la Gélinotte des bois (Bonasa bonasia) – fait l’objet de nombreuses initiatives et publications de la part de la Confédération et des cantons suisses, ainsi que de diverses associations de protection de la nature depuis la fin des années 1980. Dans le canton de Neuchâtel, les premiers travaux concrets de revitalisation des habitats ont débuté dans les années 1990 dans le cadre de trois projets pilotes (Brévine, La Sagne, Montagne de Boudry et de la Béroche). Ces efforts s’appuient sur le dialogue entre sylviculteurs, propriétaires forestiers et ornithologues. Ils visent à la mise en réseau des sous-populations et la création d’un "patchwork" de structures végétales vitales pour la protection de ces oiseaux exigeants.
Fig. 2. Souche d’épicéa "signée" par le bûcheron (croix à la tronçonneuse), puis par le grand Tétras (crottules) quelques mois après la récolte.
Fig. 3 Ouverture pratiquée dans le peuplement en automne 2004 (flèche A de la figure 5). La mise en tas des rémanents a été réalisée en automne 2005. Photo: Jean-Lou Zimmermann
Effectifs en baisse dans le canton
de Neuchâtel, le grand Tétras est considéré comme étant "en danger critique d’extinction" selon les critères de l’Union Internationale de la Conservation de la Nature (UICN). A la lecture des résultats des recensements dans ce canton depuis 1970, la disparition de l’espèce paraît effectivement inexorable à moyen terme si aucune action n’est entreprise. Toutefois, depuis 10 ans les effectifs semblent se maintenir.
Quant à la Gélinotte des bois, ses effectifs se situent entre 150 et 200 territoires – un territoire comprenant un couple ou un mâle solitaire. Si elle n’est que "potentiellement menacée", elle a toutefois pratiquement disparu au-dessous de 800 mètres.
Des besoins précis et des habitats variés
Fig. 4. Orthophotos de la division établies avant (été 1998) les travaux. Le trait rouge présente la limite entre forêts privées sous-exploitées (à gauche des images) et forêts publiques (à droite) régulièrement visitées par les interventions sylvicoles. Photo: SITN
Fig.5. Orthophotos de la division établies après les travaux (été 2005). On remarque les ouvertures créées en novembre 2004 pour améliorer l’habitat des Tétraonidés. Photo: SITN
Au fil des saisons et en fonction de leur sexe, les Tétraonidés recherchent des structures végétales différentes : perchoirs diurnes et nocturnes (hêtres, pins), sapins sources de nourriture en hiver, places de chant (clairières, tourbières, renversées de chablis, prés-bois), fourmilières (sources d’azote en période de ponte), clairières et petits fruits pour l’élevage des poussins, îlots de vieux bois, couloirs de fuite, etc. (fig 1). Toutes ces pièces du patchwork qui constitute l’habitat idéal des Tétraonidés sont d’autant plus importantes que ces oiseaux sont sédentaires.
Par ailleurs, pour qu’une population de Tétraonidés puisse survivre à l’échelle d’une chaîne de montagne telle que le Jura, il est nécessaire de garantir un réseau de zones forestières favorables, séparées d’au maximum 10 km. Le canton de Neuchâtel doit être considéré comme une zone essentielle dans un réseau reliant les populations reliques du nord-est du Jura (Chasseral BE, Weissenstein SO) à celles plus riches du Jura français et vaudois.
Ces deux impératifs - volonté de structuration de l’habitat et mise en réseau - soutendent l’approche adoptée pour la conservation du grand Tétras et de la Gélinotte dans le canton de Neuchâtel. De plus, il est indispensable de prévoir des interventions sylvicoles dans la durée afin de rompre la dynamique naturelle d’uniformisation et d’assombrissement des forêts.
Des efforts à mener dans l’espace et le temps
La survie des populations de Tétraonidés dépend d’une part d’actions de protection planifiées à long terme et à large échelle. L’approche adoptée pour la conservation des deux espèces de Tétraonidés dans le canton de Neuchâtel s’appuie, dans l'espace, sur trois niveaux de perception différents: à l'échelle des régions (mise en réseau), des massifs forestiers (volonté de structuration de l'habitat) et des divisions forestières (agencement concret des structures végétales essentielles de l’habitat).
A l'échelle du canton, le concept de réseau développé pour favoriser la mise en contact des noyaux de population de grand Tétras et de Gélinotte devra trouver sa place dans le plan d’aménagement forestier cantonal (PAF). Celui-ci contient déjà les principes d’une sylviculture différenciée, créatrice de structures variées. Il définit par ailleurs le concept de réserves à interventions particulières (RFP), un outil dont bénéficient déjà les Tétraonidés.
Application à l’échelle d’une division
C’est à l’échelle d’un massif occupé par les Tétraonidés et plus encore à celle d’une division que les pièces essentielles du "patchwork" sont mises en place concrètement. Chaque division (ou parcelle) fait l’objet d’un plan détaillé sur lequel sont signalés les objectifs et les moyens de chaque intervention (fig 6). Les travaux réalisés à cette échelle découlent d’une procédure qui peut être résumée en sept points:
- Le plan annuel des travaux, soumis à l’approbation du propriétaire.
- La cartographie et la description des mesures spécifiques.
- Le martelage (conduit par l’ingénieur forestier d’arrondissement et le propriétaire).
- Le déroulement des travaux de coupe et les consignes pratiques aux exploitants: calendrier des travaux, disposition des layons de débardage, arbres à laisser sur le parterre de coupe, maintien de souches hautes, respect des fourmilières, degré de rassemblement des rémanents ligneux, etc.).
- Les soins à la jeune forêt (essentiels en vue de favoriser le sapin et les espèces appétées par les Tétraonidés).
- Les mesures auxiliaires (par exemple la plantation de fruitiers forestiers).
- Le constat (recensements réguliers pour déterminer l’impact – positif ou négatif – des travaux forestiers et du patchwork).
En conclusion
La revitalisation des habitats d’espèces aussi exigeantes que les Tétraonidés est tributaire d’une sylviculture dynamique qui repose sur une analyse spatiale des sites adéquats, ainsi qu’une ferme volonté de mettre en place un réseau dynamique de structures fonctionnelles élémentaires (trouées, clairières, perchoirs, etc.). Une telle sylviculture requiert un degré élevé de collaboration entre ornithologues, propriétaires et forestiers.