Depuis la disparition de l’ours brun, le cerf élaphe ou cerf rouge est le plus grand mammifère sauvage de notre pays. Cet animal de corpulence imposante arbore un trophée spectaculaire et s’accoutume très bien à l’altitude. En Suisse, il habite une bonne partie des forêts de montagne.

Morphologie

Le cerf mâle adulte mesure de 1,20 à 1,50 mètre au garrot et pèse entre 170 et 220 kilos, ce qui représente huit fois le poids d’un chevreuil. La biche est nettement plus petite: son poids varie entre 90 et 130 kilos pour une hauteur de l’ordre de 1 à 1,20 mètre. Lorsqu’il perd ses bois, lemâle se reconnaît à son corps massif et trapu, à son thorax puissant et à son encolure forte.

Le cerf, un cervidé de type coureur bâti pour les paysages ouverts ou semi-ouverts, a une colonne vertébrale horizontale et des bois larges. Ilmue deux fois par an, au printemps et à l’automne: le pelage d’été, court et roux, s’épaissit et devient gris-brun à la mauvaise saison. Il a les fesses jaunâtres, possède une queue de quinze à vingt centimètres de long, et présente une raie noire le long de l’échine.

Au moment du rut, les mâles arborent une crinière longue et fournie. Cerfs et biches possèdent une glande à l’avant de l’oeil avec laquelle ils marquent la végétation, le larmier, ainsi que des glandes odoriférantes, les brosses, à la face externe des pattes postérieures, sous le calcaneum. Lemâle présente par ailleurs des glandes dans la région caudale, dont la sécrétion, abondante pendant le brame, dégage une forte odeur de musc.

Les bois

Les bois des cervidés,des productions osseuses pleines qui tombent et repoussent chaque année, sont composés d’une base, la meule, d’un tronc principal, le merrain, et de plusieurs pointes, les cors ou andouillers. Chez les grands animaux, ils se terminent par un bouquet de pointes, l’empaumure. Le cycle des bois est lié à la production d’hormone mâle. Leur chute intervient en février chez l’adulte, alors appelé mulet ou décoiffé. Comme la masse minérale nécessaire à leur croissance provient essentiellement de l’alimentation, le développement ou refait est lié à la quantité de nourriture disponible au printemps. Pendant le refait, qui dure de 120 à 140 jours, les bois sont recouverts d’une enveloppe nourri-cière duveteuse, le velours, dont les mâles se débarrassent au mois de juillet en frottant leurs bois aux arbres: c’est la période de la frayure.

A sa première tête, le cerf a simplement des dagues: il est appelé daguet. A sa seconde, il porte de quatre à huit cors, et l’année suivante, il en arbore de huit à dix. Les bois atteignent leur apogée entre la septième et la dixième année. Lorsque le cerf est en fin de vie, son trophée régresse et le nombre d’andouillers diminue: on parle alors de ravalement. Le développement des bois peut grandement varier selon le biotope, le climat et l’hérédité de l’individu. En montagne, les cerfs, souvent sous-alimentés pendant le refait, ont des trophées médiocres. Les plus beaux bois mesurent un mètre de long, pèsent de sept à huit kilos et portent de seize à dix-huit cors.

Habitats, déplacements

Dans la majorité des pays d’Europe, le cerf habite la forêt, ce qui lui permet de s’isoler et de se protéger de l’homme. Il reste à l’abri dans la journée et ne sort en terrain dégagé que la nuit venue. Cependant, certaines populations, comme celles d’Ecosse, vivent en permanence en milieu ouvert. Les cerfs alpins font de même: à la belle saison, ils séjournent dans les pelouses d’altitude entre 2000 et 2700 mètres.

Ils ne craignent ni les lieux accidentés ni les pentes raides, où ils peuvent rester jusqu’aux premières neiges. Le cerf de montagne se distingue du cerf de plaine par les migrations saisonnières que lui impose l’enneigement. Dès que le manteau neigeux dépasse vingt ou trente centimètres, les ongulés migrent vers les forêts de basse altitude ou les versants à l’adret. Dans certaines régions, comme l’Engadine, les déplacements saisonniers peuvent atteindre entre dix et quarante kilomètres. En hiver, les cerfs circulent peu, pour limiter leurs dépenses d’énergie.

Vers 1850, le cerf avait quasiment disparu de Suisse, à l’exception des Grisons où subsistaient encore quelques hardes. La recolonisation reprit dès 1870, par une immigration naturelle en provenance du Montafon autrichien. En 1926, on réintroduisit deux cerfs et trois biches dans le val Ferret, en Valais. Les ongulés se sont multipliés et occupent à l’heure actuelle la majeure partie du secteur alpin helvétique:  en 2019, on comptait près de 40 000 cerfs en Suisse.

Indices de présence

Les indices les plus fréquemment rencontrés sont les empreintes (30 à 65 millimètres de large sur 40 à 80 millimètres de long) et les crottes ou fumées, des cylindres avec une extrémité pointue et l’autre arrondie de 20 à 25 millimètres de long. Les fumées peuvent être séparées ou en paquet de quatre à cinq centimètres de diamètre.

Dans le secteur de brame, les souilles et les frayoirs ne passent pas inaperçus. Les souilles sont des mares boueuses où les cerfs viennent se vautrer: on y trouve de nombreuses traces et, souvent, des poils. Quant aux frayoirs, ce sont de jeunes arbres sur lesquels lemâle frotte vigoureusement ses bois, jusqu’à en arracher l’écorce.

Vie sociale

En dehors de la période de rut, cerfs et biches vivent en hardes séparées, une tendance qui s’affirme par ailleurs avec l’âge. Les vieux mâles sont le plus souvent solitaires. Le grégarisme est important dans les milieux ouverts, comme en Ecosse ou dans les pâturages de montagne en été. L’organisation sociale est de type matriarcal, la cellule familiale de base étant composée de la mère et de ses jeunes, dans leur première et deuxième année de vie. En hiver, les hardes sont importantes, car plusieurs familles s’associent. Lors de déplacements, une femelle, appelée biche meneuse, conduit le reste de la harde et déclenche la fuite en cas de danger.

Alimentation

Lorsque le dérangement provoqué par l’activité de l’homme est important, les cerfs deviennent nocturnes. A l’inverse du chevreuil, le cerf consomme des plantes herbacées poussant à la lumière: il pâture donc de préférence dans les zones couvertes, les coulées, les clairières, et ne s’attarde pas dans les futaies fermées. Son alimentation est constituée de deux tiers d’herbages (graminées, légumineuses) et d’un tiers de plantes ligneuses ou semi-ligneuses. L’animal ingurgite de huit à vingt kilos de végétaux par jour. Dans les forêts de montagne, les cerfs consomment, outre les graminées, les framboisiers, les myrtilles, les sorbiers, les ronces et les saules. Ils aiment également les fruits et les glands. A la mauvaise saison, les animaux se rabattent sur les écorces d’arbres feuillus, les lichens, les mousses, les herbes sèches, les ronces et les résineux. Les cultures agricoles attirent régulièrement cet ongulé, car elles lui offrent une nourriture riche et facile d’accès. Les cerfs prélèvent surtout des céréales, du maïs, des pommes de terre et des betteraves.

Reproduction

L’époque du rut est particulièrement intéressante. Le brame du cerf, qui se déroule du 15 septembre au 15 octobre, est un véritable spectacle. L’intensité maximum se situe en général dans la première semaine d’octobre, sauf dans les secteurs à forte densité où le paroxysme intervient une semaine plus tôt. Les mâles sont surtout actifs au crépuscule et de nuit,mais dans les régions à faible dérangement, le brame et l’activité sexuelle restent intenses toute la journée. Dès la fin du mois d’août, la crinière des mâles se développe.

Les grands cerfs, fidèles à leur secteur de rut, regagnent les places de brame en premier. Ils deviennent moins farouches, plus belliqueux, et circulent davantage. Ce sont surtout les mâles de plus de cinq ans qui participent activement au brame et endossent un rôle de géniteur. Une véritable hiérarchie s’établit alors entre les cerfs, après des rituels d’intimidation, des simulacres de charge et des combats parfois violents. Le cerf dominant est l’animal le plus grand ou le plus lourd.

Le brame ou raire est un cri guttural prolongé, entre le rugissement du lion et le meuglement de la vache. C’est un véritable langage, avec d’importantes variations dans le timbre, la fréquence et l’intensité. Un cerf très excité peut pousser jusqu’à cinq cents raires par heure! Le brame permet à la fois au cerf de manifester sa présence, de provoquer ses rivaux et d’exciter les femelles. Les phases d’hyperactivité sont entrecoupées de phases de repos, mais l’animal cesse pratiquement de s’alimenter pendant le rut et peut perdre jusqu’à 20% de son poids.

Les cerfs fréquentent régulièrement les souilles pour prendre des bains de boue. D’autres comportements leur permettent de calmer leur agressivité: ils s’acharnent sur la végétation avec leurs bois, frappent violemment les troncs, frayent les jeunes arbres et labourent le sol, tout en s’arrosant d’urine et de sperme.

La polygamie est de règle chez le cerf. Le mâle dominant ne forme pas de harem, mais rejoint une harde de biches déjà constituée. Il reste avec elles, les suit et tente de ramener celles qui s’éloignent. Les biches sont fécondées dès leur premier oestrus, c’est-à-dire, à l’âge de seize mois. La gestation dure huit mois. La biche met au monde un seul petit, dans un endroit calme de la forêt, au mois de juin. Auparavant, elle aura pris soin de se séparer de son petit de l’année précédente.

Le faon

Le jeune faon pèse six à huit kilos à la naissance. Il a le pelage roux moucheté de taches claires, la tête courte et pointue. Le lait maternel est l’aliment de base jusqu’à trois mois. Au début, le faon reste seul auprès de sa mère, puis le jeune âgé d’un an se joint à eux pour former le trio familial.

A six mois, le faon pèse entre 45 et 60 kilos. A cet âge, il est impossible de déterminer le sexe de l’animal, sauf si on peut l’observer au moment où il urine. Durant l’hiver, la croissance du jeune est lente,mais reprend rapidement dès le printemps suivant. A l’âge de deux ans, l’animal atteint les trois quarts de son poids définitif. En montagne, la mortalité des jeunes est importante à cause du froid, de l’humidité et du manque de nourriture. Le taux de reproduction (nombre de faons viables rapporté au nombre de femelles) est d’environ 45% dans les Alpes.

Prédation et chasse

Autrefois, le loup était un bon régulateur des populations de cerfs. A l’heure actuelle, le cerf n’a pratiquement plus de prédateurs dans les Alpes, car les lynx, les aigles et les renards ne peuvent s’attaquer qu’aux nouveau-nés éloignés de leur mère, et les cas sont rares. Comme la mortalité naturelle ne suffit pas à réguler les populations, la chasse est le seul moyen de limiter la croissance. En Engadine, la prolifération excessive des cerfs est un véritable problème pour la sylviculture et l’agriculture. Les autorités cantonales ont dû réagir en intensifiant les tirs, car pour stabiliser une population, le prélèvement cynégétique annuel doit se situer entre 15 et 20% du cheptel.