La forêt protège-t-elle des dangers naturels?

Dans ce pays montagneux qu’est l’Autriche, l’espace naturel et culturel de l’homme est soumis à la menace constante et significative des dangers naturels. Au cours des dernières décennies, les inondations et les mouvements de masse causés par les fortes pluies ont provoqué des dégâts considérables sur les habitations, les établissements d’entreprises et les infrastructures.

Une protection biotique, capable de se renouveler en grande partie elle-même, comme c’est le cas de la végétation forestière, constitue la stratégie la plus efficace pour réduire les dangers naturels et leurs dégâts. Cependant, le système forestier et son efficacité ont des limites. C’est la raison pour laquelle lors de la survenue d’intempéries extrêmes, même une configuration forestière optimale n’est pas en mesure d’empêcher complètement les dangers naturels et leurs dégâts. Ainsi, il est nécessaire d’associer les mesures sylvicoles et techniques. La littérature spécialisée distingue les dangers naturels, qui nécessitent avant tout la protection forestière d’une station ou d’une région, de ceux qui imposent la préservation d’un objet.

Effets protecteurs d’une station ou d’une région

Il s’agit de la protection contre les dangers naturels qui menacent la station de surfaces boisées (potentielles) et/ou qui ont sur elles une influence (indirecte) résultant uniquement des conditions de l’ensemble du bassin versant.

Crues et laves torrentielles

Les crues et les laves torrentielles sont la conséquence des fortes pluies et précipitations convectives de longue durée. En Autriche, elles sont responsables des dégâts les plus importants. À eux seuls, les dommages de la crue d’août 2002 (y compris ceux des glissements de terrain) sont évalués à 3,1 mrd d’euros (ZENAR, 2003). La crue de juillet 2005 à Salzbourg a provoqué des dégâts directs de 66,1 mio. d’euros. Au Voralberg, les dégâts directs annoncés atteignent 178,3 mio. d’euros.

Même un boisement important présentant des conditions optimales est incapable d’empêcher les crues et les laves torrentielles. Mais sans forêt, ils seraient encore plus extrêmes. Le sol forestier et son influence sur le ruissellement jouent un rôle crucial. En forêt, la rugosité de surface est généralement plus importante et l’infiltration meilleure. Cela peut ralentir ou atténuer les pics de ruissellement (voir figure).

L’influence de la forêt est particulièrement importante sur les réserves du sol. La végétation forestière génère des capacités de stockage dont l’ampleur varie en fonction de la station, du boisement et du cycle annuel des intempéries. Elles sont ainsi disponibles en cas de fortes pluies. On suppose que la contribution potentielle de la forêt, ou influence sylvicole, est la plus modeste dans les stations fortement irriguées et très perméables et la plus importante sur les sols relativement perméables et moyennement profonds. C’est pourquoi les mesures appliquées aux stations extrêmes ne permettent pas d’atteindre les objectifs fixés.

Mieux vaut privilégier un reboisement contrôlé des sols agricoles dont le rendement est marginal et favoriser les surfaces foliaires et la croissance dans les peuplements des stations moyennes situées aux étages moyen montagnard à subalpin. Toutefois, d’un point de vue scientifique, cet aspect n’est pas encore complètement élucidé. Dans les stations extrêmes, la stratégie la plus efficace pour protéger le sol est probablement la conservation de la forêt (stimulation de la diversité et de la stabilité). Ce phénomène régional principal s’accompagne d’effets protecteurs locaux qui influencent la région, comme la diminution de l’apport en charriage (de l’érosion) avant et après l’événement, la préservation de la stabilité des berges et des digues et probablement aussi les effets de filtrage des laves torrentielles (freinage des matériaux charriés).

Érosion

Dans les conditions climatiques humides tempérées telles qu’on les trouve en Autriche, l’érosion de surface ne joue un rôle que pour les cultures ou les sols dépourvus de végétation. Dans les forêts et les prairies, elle est toujours la conséquence de glissements de terrain, d’une érosion souterraine, de glissements de neige avec arrachements ou d’interventions anthropogènes. Lorsque la couverture de végétation et d’humus est suffisante, les phénomènes d’érosion sont absents. La forêt est une forme de végétation permanente particulièrement efficace, capable de stabiliser le sol en profondeur grâce à une structure vivante, même si le couvert est défolié. Cependant, dans les stations sujettes à l’érosion, l’ensemble du recouvrement végétal ne doit pas être inférieur à 70%, ou à 80% en altitude. Toutes les mesures visant à améliorer la protection contre les crues contribuent également à atténuer ces processus.

L’érosion des chenaux et des rives est la conséquence de l’écoulement, sur lequel la forêt exerce une influence indirecte. L’érosion d’un lit peut engendrer des déchaussements et une accumulation d’alluvions qui peuvent également entraîner des glissements de terrain et des laves torrentielles. Par conséquent, la diminution de l’intensité du pacage dans les zones sensibles est une mesure essentielle.

Formes particulières de l’érosion des couches supérieures

Elles jouent un rôle secondaire car les dégâts sont relativement limités et ne se manifestent pratiquement pas dans le secteur alpin boisé et potentiellement boisé. La solifluxion est le déplacement de masses de terre gorgées d’eau, initialement gelées, vers la zone de fonte. Elle n’est pertinente qu’au-dessus de la limite forestière. Le recul du permafrost génère de nouveaux potentiels de glissements de terrain, d’érosion et d’alluvions. Il est probable que la solifluxion empêche la végétation d’assurer une stabilisation préventive des sols. Ces processus ne peuvent être observés qu’à long terme au moyen de la conservation des boisements à la lisière de la forêt alpine.

Sauf dans les secteurs très enneigés, les dégâts considérables provoqués par le glissement de neige/ poids de la neige concerne moins les sols que le peuplement forestier proprement dit, ce qui peut compromettre d’autres effets de la forêt. Par conséquent, que ce soit pour les boisements ou les reboisements, il est nécessaire de mettre en place des mesures de protection très coûteuses contre les glissements de neige.

La détérioration du sol est un processus lent, discret et difficile à identifier qu’il faut distinguer de l’évolution naturelle du sol. Ses conséquences peuvent être à l’origine de phénomènes accrus d’écoulement, d’érosion, de glissements de terrain, de laves torrentielles et de déflation. En général, les modèles d’évaluation forestière supposent qu’une protection optimale contre la dégradation du sol est assurée par une couverture suffisante ainsi que par la composition des essences de l’association forestière naturelle potentielle (AFNP). Il n’existe aucune preuve de la validité de l’objectif «AFNP = protection optimale du sol», c’est-à-dire que même les sols non boisés ne doivent pas se dégrader. Dans la plupart des cas, la détérioration du sol en forêt devrait être attribuable à une exploitation agricole secondaire (par exemple, l’exploitation du foin) et à des dépôts polluants. C’est pour cette raison que les mesures générales de réduction des émissions et de cessation des exploitations agricoles intensives, notamment dans les stations de forêt de protection où les sols sont fragiles, sont importantes et efficaces.

Outre cette influence sur la sauvegarde des stations et des régions, l’amélioration et la conservation des effets protecteurs (potentiels) des objets est un objectif important. Même si la forêt n’offre pas de rempart direct aux biens (objets) comme les habitations et les infrastructures contre les dangers naturels tels que les avalanches et les chutes de pierres, son effet protecteur est nécessaire à la sauvegarde de la station et de la région.

Protection des objets

Il s’agit des effets protecteurs contre les dangers naturels qui menacent directement, ou à travers des surfaces boisées (éventuelles), des biens situés à l’extérieur de la forêt (protection des objets).

Avalanches

En Autriche, les avalanches de neige comptent parmi les principaux dangers naturels. La contribution éventuelle de la forêt, c’est-à-dire le mécanisme de son effet, varie selon la zone de rupture et de transit de l’avalanche. La forêt est la protection la plus efficace contre les avalanches et peut empêcher complètement leur départ. Par rapport au terrain non-boisé, l’effet protecteur réside avant tout dans une modification des conditions de la couche neigeuse en raison d’évolutions climatiques et de processus d’interception. Les effets stabilisateurs mécaniques agissent également de façon secondaire.

Mais les effets protecteurs ne se vérifient que lorsque la forêt bénéficie d’une structure adéquate. Les arbres doivent dépasser nettement de la couche de neige. Une modification climatique efficace nécessite un degré de recouvrement en essences à feuilles persistantes d’au moins 50%. Lorsque ce n’est pas possible, le nombre de tiges doit être suffisamment élevé compte tenu de la pente, de la rugosité de surface et de la hauteur du manteau neigeux pour pouvoir stabiliser la couche de neige. Lors des interventions sylvicoles visant à rajeunir les peuplements, il est important que les trouées ne dépassent pas certaines dimensions. Sinon, même si la couverture et le nombre de tiges sont suffisants, l’effet protecteur n’est pas garanti.

Dans la zone de transit et d’accumulation de l’avalanche, l’effet de freinage de la forêt est minime. Il n’est assuré que pour les petites avalanches d’un volume inférieur à 10 000 m3. Par conséquent, l’objectif dans cette zone est de favoriser un écoulement qui n’endommage pas le peuplement. En effet, le bois entraîné par l’avalanche peut aussi générer des obstructions et complique le nettoiement de la zone. Ainsi, dans les secteurs de transit des grandes avalanches actuelles, les structures forestières adéquates sont différentes de celles de la zone de départ (forêts de buissons, structures de forêt jardinée). Pour conserver l’effet protecteur en permanence, les forêts de type jardiné sont bien adaptées aux zones de départ et de transit. Bien souvent, l’entretien de ces structures dans les stations florissantes n’est possible qu’au moyen d’interventions sylvicoles.

Éboulements et écroulements, chutes de blocs et de pierres

L’effet protecteur de la forêt est minime contre les éboulements et les écroulements. Nous étudions avant tout leur fréquence, la contribution potentielle de la forêt ainsi que les chutes de pierre dont les composants mesurent moins de 50 cm. Dans la zone de départ de ces chutes, les interactions avec le boisement sont particulièrement complexes et antagonistes. Par conséquent, les mesures efficaces se limitent aux zones de transit et d’accumulation. Mais dans le cas des chutes de pierre, le passage de la zone de départ à celle de transit est singulièrement flou. Plus faciles à évaluer, les effets de freinage et de captage de la végétation sont les facteurs décisifs de la protection. Pour les chutes de pierres, l’important est de disposer d’un boisement suffisamment dense par rapport aux dimensions des blocs qui les composent, avec des troncs bien ancrés et assez solides pour supporter la charge dynamique.

Comme pour la protection contre les avalanches, les coupes de rajeunissement sont limitées aux dimensions autorisées, et afin d’augmenter la rugosité de surface, il convient de laisser sur place suffisamment de troncs debout ou couchés et de souches élevées. De plus, le respect de certaines successions de coupe, ou suites de coupe, est nécessaire pour garantir en permanence «une diminution progressive des diamètres des troncs et une augmentation simultanée de la densité des arbres à une distance croissante de la paroi rocheuse». Sous l’influence de chutes de pierres intenses, les peuplements forestiers laissés à l’état naturel développent une structure qui n’offre pas de protection optimale contre ce même phénomène. Les arbres forment des rangées parallèles à la pente le long des couloirs de chute. Naturellement, ces zones ne se reboisent pratiquement plus. L’objectif de protection implique donc la conservation/création de structures forestières spéciales, au moyen de mesures de soins, et l’anticipation de pertes lors de la récolte.

Éboulements et tassements

En Autriche, les fortes pluies sont toujours suivies d’éboulements spontanés, y compris dans les zones boisées, ce qui entraîne des dégâts et des coûts considérables. Conditionnés par la géologie, les tassements provoquent chutes de pierres et glissements de terrain et ne sont quasiment pas influencés par la forêt. Contrairement aux zones actives de laves torrentielles et de crues ainsi qu’à celles sujettes aux avalanches et aux chutes de pierres, ces zones d’éboulement sont difficiles à localiser (avant l’événement), ce qui les rend d’autant plus dangereuses. C’est pourquoi les versants suspects doivent, eux aussi, toujours bénéficier de mesures sylvicoles préventives contre le risque d’éboulement.

En termes de topologie fonctionnelle, ce domaine est très complexe et relié à d’autres processus à l’intérieur du bassin versant. La forêt influence directement les glissements superficiels à moyennement profonds dans leur zone de départ, jusqu’à environ 10 m de profondeur, en fonction de leurs mécanismes d’action et de leurs dimensions. Même l’effet des mesures sylvicoles est difficile à évaluer. Mais quoi qu’il en soit, les mesures visant à diminuer le ruissellement du bassin versant contribuent en tous cas à éviter les glissements de terrain.

En principe, plus on supprime de biomasse, plus l’augmentation du ruissellement est importante. Et sur les terrains forestiers ou boisés, les masses des glissements observés sont faibles, sauf sur les pentes les plus raides. Aucun indice ne permet d’affirmer que la végétation forestière pourrait freiner efficacement les glissements importants dans la zone de transit si le terrain ne soutenait pas ce processus. Le bois véhiculé par le flot du glissement accroît les dommages. Par conséquent, afin de réduire la surcharge et les dégâts dus au bois, il est préférable de conserver sur les terrains continuellement exposés aux glissements des peuplements de jeunes arbres ou de buissons, avec une faible proportion de gros bois. Cependant, l’entretien de ces structures nécessite des mesures sylvicoles renouvelées.

Traduction : Stéphanie Rüling-Moreau

Contact

Frank Perzl
Bundesforschungs- und Ausbildungszentrum für Wald, Naturgefahren und Landschaft
Institut für Naturgefahren und Waldgrenzregionen
Rennweg 1 A-6020 Innsbruck
Tél.: +43(0)512/573933-5124