Contrairement à d’autres animaux recouverts d’une épaisse peau, de plumes ou d’écailles, les amphibiens n’ont qu’un épiderme délicat pour les protéger des influences environnementales. Des glandes à mucus maintiennent l’humidité superficielle nécessaire à leur respiration cutanée. Durant les périodes de sécheresse ou lors d’une exposition directe au soleil, l’humidité de leur peau peut diminuer très rapidement, raison pour laquelle les amphibiens recherchent des habitats frais, humides et ombragés. Le microclimat forestier est donc particulièrement favorable à nos amphibiens indigènes.

D’utiles mares sans poissons

Les forêts de Suisse jouent un rôle fondamental pour la majorité des 18 espèces d’amphibiens indigènes. Pour beaucoup d’espèces, les forêts de feuillus représentent des habitats primordiaux. Parmi celles-ci, les forêts alluviales et les forêts marécageuses (figures 2 et 3) sont particulièrement importantes, surtout lorsqu’elles abritent des petits plans d’eau dépourvus de poissons. Ces prédateurs des pontes et des larves peuvent réduire à néant les efforts de reproduction des batraciens: leur absence est donc déterminante pour garantir le maintien d’une population.

Les peuplements de résineux sont en général délaissés par les batraciens, en raison d’une faible couverture végétale au sol qui héberge peu de proies: insectes, araignées ou mollusques. Les batraciens les plus remarquables en forêt sont la salamandre noire, la salamandre tachetée, les tritons crêtés et palmés, la grenouille agile et le sonneur à ventre jaune. Il n’est toutefois pas rare d’y rencontrer également la grenouille rousse ou le crapaud commun (figure 1).

Plus fréquents sur la terre que dans l’eau

Les batraciens nous sont familiers dans l’eau, en période de reproduction. C’est la saison du chant de la rare rainette verte, des tritons remontant respirer à la surface de l’eau ou des bancs de têtards si familiers à tous les enfants ayant observé la faune des étangs. C’est de ces observations si communes que le grand public déduit naturellement que les batraciens sont des animaux aquatiques, alors qu’ils passent en réalité la plus grande partie de leur existence sur la terre ferme.

La salamandre noire, par exemple, est une espèce exclusivement terrestre. C’est d’ailleurs le seul amphibien suisse qui ne soit pas lié au milieu aquatique pour sa reproduction, la femelle mettant au monde des petits déjà formés et adaptés à leur existence terrestre. Chez la salamandre tachetée (figure 4) et le crapaud accoucheur, seules les larves et les têtards vivent dans l’eau; les adultes sont terrestres. Les adultes de la grenouille rousse et du crapaud commun passent, chaque année, quelques jours à quelques semaines dans l’eau. En comparaison, les tritons passent plus de temps dans l’eau, même si cette part de leur vie reste toujours moins importante que la phase terrestre. Seules les grenouilles vertes (figure 7) passent la majeure partie de leur existence dans l’eau. Sur terre, les amphibiens se cachent sous des troncs, des pierres et ne sortent que lors de nuits pluvieuses ou particulièrement humides.

Caches et territoires de chasse

Les amphibiens sont des animaux à sang froid. Contrairement aux mammifères ou aux oiseaux, ils sont incapables de réguler leur température corporelle eux-mêmes. C’est pour cette raison que leur activité dépend essentiellement de la température extérieure et qu’ils doivent passer par une hibernation obligatoire sous nos latitudes. Les meilleurs emplacements pour un repos hivernal à l’abri du gel se trouvent dans les forêts riches en petites structures d’abris. Les batraciens utilisent en particulier les trous de micromammifères et de taupes, les vieilles souches, les tas de bois et autres structures similaires.

Les caches terrestres sont également importantes en été. Les batraciens trouvent l’humidité nécessaire pendant les périodes de sécheresse prolongées sous les volumineux tas de bois (figure 5). Ces refuges leur permettent non seulement d’échapper à leurs prédateurs tels que chouettes, renards, blaireaux, martres et gros coléoptères, mais c’est également dans ces caches, dans la litière forestière et dans le sous-bois, qu’ils trouvent leur nourriture constituée de vers, d’escargots, de cloportes, d’araignées et autres petits invertébrés. C’est essentiellement dans les stations les plus fraîches et les vallons humides que se concentrent les batraciens.

Les plans d’eau, éléments-clés

A l’exception de la salamandre noire, tous nos amphibiens indigènes sont liés à l’eau pour se reproduire. Sans plans d’eau, ils disparaissent.

En moins de 200 ans, la plupart des milieux humides qui couvraient la Suisse ont été convertis en surfaces agricoles par le biais du drainage des marais et de l’aménagement de digues de protection le long des surfaces inondables. Les forêts n’ont pas été épargnées: les peuplements les plus humides ont été drainés et les dépressions qui s’inondaient chaque printemps comblées. Le débit des ruisseaux forestiers a été réduit par le captage des sources, et les corrections de cours d’eau ont irrémédiablement modifié le régime hydrique des forêts alluviales.

Cet historique explique pourquoi les plans d’eau sont si rares de nos jours et pourquoi 70% des amphibiens indigènes sont menacés. Seule une augmentation du nombre de sites de reproduction permettra d’améliorer leur situation. La forêt étant l’un des éléments centraux dans le cycle vital des amphibiens, il n’est pas rare que les mares les plus riches soient à proximité des forêts. Pour la même raison, les plans d’eau aménagés dans ou à proximité de la forêt sont souvent les plus rapidement colonisés par les amphibiens (figure 6).

Petites et grandes exigences

Les personnes désireuses d’aménager des mares doivent toutefois être attentives aux exigences écologiques des différentes espèces d’amphibiens. Comme c’est le cas chez les hommes, certains batraciens sont rapidement satisfaits, tandis que d’autres ne semblent jamais être contents.

La grenouille rousse, par exemple, se reproduit aussi bien dans des étangs de jardins, des petites gouilles, des lacs, des petits ruisselets ou des basmarais. D’autres espèces, comme le crapaud calamite, la rainette verte ou le sonneur à ventre jaune sont très exigeantes. Qualifiées de pionnières, ces trois espèces ne se reproduisent souvent que dans des plans d’eau nouvellement aménagés. Si la situation est encore relativement bonne pour les espèces peu exigeantes, les espèces qualifiées de spécialistes sont particulièrement menacées.

Exemple du sonneur à ventre jaune

Le sonneur à ventre jaune se reproduit dans de très petites gouilles pionnières. Ce type de milieu humide était abondant dans les forêts alluviales qui subissaient des crues régulières. La dynamique hydrique génératrice de nouveaux plans d’eau a aujourd’hui disparu, en même temps que l’habitat primaire du sonneur à ventre jaune. Cette espèce est désormais tributaire des biotopes de substitution que l’on voudra bien lui aménager.

Les gravières et les carrières présentent des caractéristiques d’habitat minéral proches de celles qui prévalaient dans les zones alluviales. Ces sites sont souvent occupés par des espèces qui y trouvent des habitats de remplacement. Le caractère pionnier de ces habitats se retrouve également dans les ornières forestières inondées (figure 8).

Ce type de milieu de remplacement n’est toutefois que de nature transitoire: la continuité écologique induite par les crues régulières dans les forêts alluviales ne peut être entièrement compensée. De plus, les profondes ornières créées par de lourds engins forestiers portent atteinte au sol, raison pour laquelle elles sont souvent comblées, faisant ainsi disparaître des milieux de reproduction de haute valeur.

Le compromis entre protection des sols et protection des espèces consiste à tolérer les ornières forestières aussi longtemps qu’elles ne portent pas gravement atteinte à la bonne marche de la sylviculture.

    Quelques gestes simples en faveur des amphibiens

    • Ne pas drainer les forêts humides
    • Ne pas entretenir les fossés en forêt   
    • Ne pas combler les ornières   
    • Aménager de petits plans d’eau et gouilles. Les plans d’eau s’asséchant occasionnellement sont particulièrement conseillés.
    • Aménager les rémanents de coupe en tas et en andains
    • Laisser du gros bois mort au sol
    • Ne pas circuler sur les routes forestières lors des nuits pluvieuses pour éviter d’écraser des grenouilles, crapauds et salamandres particulièrement actifs à ces périodes

    Les services cantonaux de protection de la nature et le Centre de coordination pour la protection des amphibiens et des reptiles de Suisse (Karch) peuvent vous fournir des indications sur les habitats présentant le meilleur potentiel pour les amphibiens. Le Karch peut également vous conseiller plus généralement en matière de conservation de l’herpétofaune (ensemble des espèces de reptiles et des amphibiens).

    www.karch.ch

    Traduction: Jérôme Pellet, Karch