Fig. 2. Physiquement, la collection prend la forme de grosses liasses de parts, comme celle qu’ouvre ici Christophe Randin dans les étagères à herbiers du jardin botanique. Elle occupe un volume de quelque 5 m3, mais aussi un espace numérique de 40 gigaoctets, l’équivalent d’une soixantaine de CD classiques. Photo: A. Douard
Les 2800 échantillons de chênes provenant de l’ensemble du canton de Vaud et déposés aux Musée et jardins botaniques cantonaux en décembre constituent un ensemble unique (fig. 1 et 2). C’est une base de données d’autant plus précieuse pour les forêts de demain que ses initiateurs ont fait preuve d’un bel esprit prospectif, dès le lancement du projet, il y a un bon quart de siècle.
Chaque part de l’herbier contient deux rameaux et cinq feuilles. Plus une. «Cette feuille supplémentaire est réservée à des analyses génétiques. Les initiateurs du projet y pensaient déjà, alors que ce type d’opérations commençait à peine à être pratiqué quand l’essentiel des prélèvements a été effectué, au début des années 1990», explique Jean-François Métraux, inspecteur cantonal des forêts.
A coups de fusil!
Ces prélèvements ont été pour la plupart réalisés à coups de fusil par Fabienne Duvoisin qui était alors forestière-bûcheronne. «Cette méthode, mise en œuvre avec de la grenaille tirée à l’aide d’une vieille pétoire prêtée par le service de la faune, a permis de prélever rapidement des échantillons représentatifs, haut dans les arbres; je veillais à choisir des rameaux qui puissent tomber au sol», se souvient-elle amusée.
Au-delà de son côté anecdotique, cette technique a permis de réaliser des prélèvements sur une grille systématique avec des points tous les 100 ou 400 m selon les cas, dans toutes les régions du canton.
Recherches et applications
Fig. 3. Cette clé de détermination simplifiée dite «du praticien» peut être téléchargée sur le site de ProQuercus.
Si l’herbier peut avoir une utilité en recherche fondamentale, ses initiateurs visaient aussi des objectifs pratiques. Denis Horisberger, ex-inspecteur des forêts, en a été la cheville ouvrière durant 25 ans. Dans son arrondissement notamment, il avait constaté qu’en maintes stations les plantations de chênes ne réussissaient pas comme on l’attendait. La volonté de mieux connaître les chênes et de les déterminer avec plus de précision a été un des moteurs à l’origine de la constitution de l’herbier.
Rappelons-le, les trois principales espèces de chênes indigènes (pédonculés, pubescents et sessiles) sont très difficiles à identifier en raison de leur propension à se croiser entre elles; botanistes, pépiniéristes, forestiers rencontrent ainsi les plus grandes difficultés à les déterminer. Un des premiers résultats pratiques de la réalisation et de l’analyse de l’herbier a été la construction d’une clé de détermination simplifiée des chênes à destination des praticiens, publiée par l’inspection cantonale des forêts en 1999. Cette clé vient d’ailleurs d’être rééditée en collaboration avec l’association proQuercus, sous une forme nouvelle (voir encadré).
Une clé née de l’herbier
Sur la base de l’analyse de l’herbier, une clé de détermination simplifiée dite «du praticien» a été construite et publiée cet automne (fig. 3); elle est diffusée par l’association proQuercus. Cet outil fait appel à quatre caractères discriminants aisément observables, mesurables et appréciables sur le terrain. Disponible sous forme de fiche A4 recto verso, elle se plie en quatre pour être facilement emportée sur le terrain. De plus, elle fournit les informations minimales permettant au praticien de favoriser «la bonne espèce au bon endroit».
Parallèlement se poursuivent des analyses plus détaillées des données de l’herbier qui serviront à rédiger une clé de détermination dite «d’expert»; cette dernière fera appel à davantage de caractères discriminants et nécessitera un outillage professionnel (notamment un microscope de poche et un microscope digital). Elle permettra de mieux distinguer l’originalité des différentes populations de chêne existantes dans toute la Suisse.
Le bon chêne au bon endroit
Physiquement, les 2800 échantillons sont désormais stockés dans les locaux des Musée et jardins botaniques cantonaux. Plus virtuellement, l’ensemble des données relatives à l’herbier occupe en parallèle une quarantaine de gigaoctets numériques. Une partie de ces informations sera un jour mise en ligne.
En attendant, les travaux en lien plus ou moins direct avec la constitution et l’analyse de l’herbier ont déjà permis de faire progresser les connaissances sylvicoles; ce sont autant d’outils pour améliorer la qualité des plantations et constituer les chênaies de demain. L’évolution climatique laisse prévoir que le chêne est une des essences les plus prometteuses actuellement, aussi bien du point de vue sylvicole et écologique qu’économique. A condition qu’on sache choisir le type d’arbre adapté à la station, tout en tenant compte de ses perspectives d’évolution.