Le nématode du pin (Bursaphelenchus xylophilus) est un ver filaire parasite d'environ 1 millimètre de long (fig. 1). Sa tête est munie d'un stylet perforant les cellules végétales qui lui servent de nourriture. Pour coloniser un arbre hôte, le nématode du pin doit être transporté par un organisme appelé vecteur.
Des longicornes du genre Monochamus (fig. 2) jouent ce rôle en introduisant le ravageur lors des morsures d'alimentation sur des branches d'arbres sains. Le nématode pénètre dans le bois des branches par des lésions de l'écorce. Chez les arbres hôtes sensibles, il se multiplie de façon explosive et se répand dans les tissus assurant le transport de l'eau. Privé d'eau, l'arbre infesté dépérit.
Les arbres dépérissants ou morts deviennent des sites de reproduction de longicornes. Les nématodes présents dans le bois se rassemblent dans les chambres larvaires où ils colonisent les larves de longicornes. En été, les jeunes insectes s'envolent, transportant les nématodes, vers des arbres sains auxquels ils les inoculent lors des forages d'alimentation.
Symptômes et spectre d'hôtes
Le premier symptôme de la présence de nématodes est une baisse de la production de résine. Celle-ci se manifeste par une coloration en brun-rouge des aiguilles, qui progresse rapidement du sommet vers le pied de l'arbre. Comme les aiguilles ne tombent pas, cette coloration brun-rouge (fig. 1) est le symptôme le plus frappant du dépérissement de l'arbre. Ce dernier meurt en deux ou trois mois si les températures sont optimales pour la reproduction des nématodes (c'est-à-dire une moyenne journalière de 20 °C en juillet-août). Lorsque l'été est frais et humide, leur reproduction est ralentie et l'infestation n'entraîne aucun symptôme caractéristique.
Le nématode du pin s'attaque surtout aux espèces du genre Pinus. Le pin maritime (P. Pinaster), le pin noir (P. nigra), le pin sylvestre (P. sylvestris), le pin de montagne (P. mugo) et le pin d'Alep (P. halepensis) comptent parmi les espèces sensibles en Europe. Dans des cas exceptionnels, d'autres espèces de conifères (par exemple Abies, Larix, Picea, Pseudotsuga) peuvent également être infestées. Etant donné qu'elles tolèrent plus ou moins bien la présence du nématode, l'infestation passe généralement inaperçue. Les arbres atteints constituent toutefois des réservoirs pour le ravageur et sa propagation.
Répartition actuelle
Le nématode du pin est originaire d'Amérique du Nord, où les espèces de pin autochtones se sont adaptées au ravageur et ne présentent guère de dommages significatifs. Au début du XXe siècle, il a été introduit accidentellement au Japon, entraînant le dépérissement à grande échelle de Pinus thunbergii et P. densiflora. Depuis les années 1980, il est également présent en Chine, à Taïwan et en Corée.
En Europe, le premier cas a été signalé en 1999 au Portugal, sur des pins maritimes près de Lisbonne. Les nématodes ont probablement été introduits par des longicornes présents dans du bois d'emballage en provenance d'Asie. Malgré des mesures de lutte rigoureuses et coûteuses (environ 80 millions d'euros de 1999 à 2009), le ravageur a poursuivi sa progression. L'ensemble du territoire portugais et l'île de Madère sont aujourd'hui classés zones infestées. En 2008, d'autres foyers ont été découverts en Espagne, près de la frontière portugaise. Des mesures d'éradication à grande échelle sont en cours dans ces zones. Dans ces deux pays, c'est le longicorne autochtone Monochamus galloprovincialis (fig. 2) qui a été le vecteur du nématode.
Afin d'éviter d'introduire le ravageur dans d'autres pays européens, les directives en matière d'importation de bois, d'écorce et de conifères en provenance du Portugal ont été renforcées. Tous les matériaux à base d'écorce et de bois (y compris le bois d'emballage) en provenance de ce pays doivent être traités thermiquement conformément au standard NIMP 15 (Normes internationales pour les mesures phytosanitaires), c'est-à-dire pendant 30 minutes à ≥56 °C. Ce traitement détruit tous les nématodes et les insectes qui pourraient être présents.
En outre, tous les pays membres de l'Union européenne (UE) procèdent à des relevés annuels sur la présence de nématodes du pin. Ce suivi doit apporter la preuve qu'un pays donné est exempt de Bursaphelenchus xylophilus (statut «exempt d'infestation») et donc que son bois peut être exporté librement. La Suisse participe à ces mesures dans le cadre de son accord agricole avec l'UE. Une directive du Service phytosanitaire fédéral tient lieu d'aide à l'exécution à l'intention des autorités et des services forestiers.
Manuel de gestion du nématode du pin (PDF)
Cette aide à l'exécution définit la marche à suivre en présence de nématodes du pin en Suisse. Il permet ainsi de mettre en oeuvre rapidement et efficacement les mesures de lutte prévues. Par ailleurs, il décrit les mesures préventives destinées à empêcher l'introduction du ravageur en Suisse.
La situation en Suisse
En Suisse, le pin sylvestre (l'espèce de pin la plus commune), le pin de montagne et le pin noir figurent parmi les essences les plus vulnérables au nématode. Leurs aires de répartition couvrent environ 43'400 hectares. Une grande partie de ces forêts de pins se trouvent dans les Alpes (Valais et Grisons), souvent sur terrains pentus où elles ont une fonction protectrice (Inventaire forestier national 2004-2006). Les plus menacées sont les pinèdes peu denses sur des stations chaudes comme le Valais central et le Bas-Valais, au pied sud du Jura et dans la vallée grisonne du Rhin entre Thusis et Landquart.
Depuis 2010, le WSL relève les signalements de nématodes du pin dans les principales stations à pin en Suisse (fig. 4). En outre, les chercheurs du WSL surveillent particulièrement les sites présentant un risque élevé d'introduction accidentelle, tels que l'aéroport de Zurich-Kloten, les entreprises d'importation d'écorce et les grandes scieries. Du personnel qualifié prélève des échantillons au moyen de forets hélicoïdaux dans l'aubier de pins morts depuis peu, et examine les copeaux dans le laboratoire phytosanitaire pour y déterminer la présence de nématodes du genre Bursaphelenchus.
A ce jour, les scientifiques n'ont trouvé aucun nématode du pin dans les échantillons analysés. Des nématodes d'autres espèces de ce genre ont cependant été mis en évidence et identifiés au moyen d'analyses ADN dans de nombreux pins morts récemment (fig. 5). L'espèce la plus abondante était B. vallesianus, suivie de B. sexdentati, B. leoni, B. eggersi et B. mucronatus kolymensis, trois autres espèces, B. borealis, B. polygraphi et B. pinophilus, étaient très rares dans les échantillons. Toutes ces espèces sont également présentes dans d'autres pays européens et sont très vraisemblablement indigènes. Ce sont des scientifiques du WSL qui les premiers ont décrit B. vallesianus, sur des pins sylvestres morts, en Valais; c'est d'ailleurs cette région qui a donné son nom scientifique à l'espèce.
La plupart des espèces du genre Bursaphelenchus trouvées en Suisse sont probablement des nématodes du bois inoffensifs. Des expériences en serre ont toutefois montré que B. vallesianus et B. mucronatus sont en mesure de causer des dommages à des jeunes pins, notamment si ces derniers sont soumis à un stress hydrique. En comparaison avec les nématodes du pin, les dommages potentiels causés par ces deux espèces semblent sensiblement plus faibles chez les pins adultes que chez les jeunes arbres.
Mise en évidence du nématode du pin
Les symptômes d’une infestation par le nématode du pin ne sont pas spécifiques et peuvent également être causés par d’autres organismes nuisibles ou des facteurs abiotiques. De ce fait, seule une analyse en laboratoire permet d’apporter la preuve formelle de sa présence. Les nématodes sont extraits des copeaux de bois au moyen de la technique de Baermann. Ils sortent des copeaux et se rassemblent dans un tube à l’intérieur de l’entonnoir. Ils sont ensuite identifiés au microscope et aussi, de plus en plus souvent, au moyen d’analyses d’ADN.
Fig. 6 - A g.: prélèvement d’échantillons sur un pin sylvestre (Pinus sylvestris) dépéri. Au centre: entonnoirs de Baermann remplis de copeaux. A d., en haut: vue microscopique de nématodes du bois et, en bas, analyse d’ADN pour mettre en évidence la présence de nématodes du pin. Lorsque le résultat est positif pour un échantillon donné, une bande blanche apparaît sur la ligne inférieure, comme c’est le cas pour deux échantillons sur cette photo. Photos: Phytopathologie WSL
Conséquences
Les relevés effectués par le WSL entre 2010 et 2015 montrent que la Suisse est actuellement exempte de l'espèce de quarantaine B. xylophilus. Le risque d'une introduction accidentelle du nématode du pin a toutefois considérablement augmenté au cours des dernières années, étant donné que le Portugal est considéré comme infesté sur toute sa surface. Il est vraisemblable que le ravageur puisse s'établir dans certaines régions de Suisse.
D'une part, la majorité des espèces de pin, et notamment le pin sylvestre, font partie des hôtes vulnérables. De plus, le nématode du pin trouverait dans les vallées alpines internes du Valais et des Grisons des conditions climatiques idéales pour se développer. D'autre part, Monochamus galloprovincialis, son seul vecteur actuellement connu en Europe, est présent en Suisse. En outre, Monochamus sutor et M. sartor pourraient jouer le rôle de vecteur, et ils sont tous deux présents en altitude en Suisse. B. mucronatus kolymensis, qui figure dans les relevés du WSL, est étroitement apparenté à B. xylophilus et est également propagé par des longicornes du genre Monochamus. En conclusion, là où B. mucronatus kolymensis est présent, on peut s'attendre à ce que B. xylophilus se propage.
Etant donné que les longicornes du genre Monochamus jouent un rôle essentiel dans l'expansion des nématodes du pin, ils sont surveillés depuis 2016 en Suisse au moyen de pièges à phéromones. Les insectes capturés sont examinés en laboratoire pour y détecter la présence de nématodes du pin. Cette méthode de prévention précoce supplémentaire permet de repérer plus rapidement d'éventuelles introductions du ravageur.
Traduction: Michèle Kaennel Dobbertin (WSL)